Entretien avec Marianne COSTA

Artiste et écrivain spécialisée dans des formes thérapeutiques relevant du symbolique et du créatif

Coauteure avec Alejandro Jodorowsky de :
Métagénéalogie – La famille, un trésor et un piège

Dans le cadre de votre approche concernant la Métagénéalogie, avez-vous eu l’occasion de recevoir des personnes souhaitant comprendre l’impact de leur histoire familiale sur une éventuelle difficulté de conception ?

Ce n’est pas forcément quelque chose que les gens explorent en premier, en cas d’infertilité. Les gens ne sont pas forcément conscients que l’infertilité puisse venir des ascendants. Ce n’est pas du tout un réflexe alors que bien évidemment c’est souvent lié à l’arbre généalogique.

 

D’après vous, quel est le poids des croyances familiales sur les enjeux de la filiation et de la parentalité ?

Il y a deux grandes directions : la première est celle de la lignée des femmes. Quand on recueille la mémoire familiale, souvent on ne parle pas des femmes qui sont mortes avec des tentatives d’avortement, on n’évoque pas les cancers de l’utérus et parfois on ignore le nombre d’enfants décédés. Au niveau de la grand-mère et de l’arrière grand-mère des deux côtés de l’arbre généalogique, il n’y a souvent aucune conscience de la souffrance et du désarroi qui pouvaient être liés, soit à la question des grossesses non désirées, soit à l’inverse : les grossesses qui n’arrivaient pas à terme. Cette double dimension traumatique et évidemment la question de la mort traumatique des enfants en bas âge – avec des deuils très difficiles à faire – peuvent générer des infertilités. La solution pour l’inconscient si « engendrer un enfant est douloureux à ce point-là, soit parce qu’il y en a trop, soit parce qu’ils meurent », c’est d’une certaine façon, qu’il est plus simple que le corps arrête d’avoir cette possibilité-là.

On commence à peine à connaître l’impact des quantités d’avortements artisanaux qu’il y a pu avoir. Notre arbre généalogique remonte à environ un siècle, un siècle et demi en arrière, selon l’âge que l’on a.
Cette dimension traumatique de la grossesse non désirée est très importante.

L’autre aspect concernant les infertilités masculines, c’est ce que Jodorowsky a appelé le « sperme sale ». Ce sont des hommes qui reçoivent l’information que la virilité qui engendre, est quelque chose qui n’est pas bien. Soit parce qu’il y a eu des hommes extrêmement volages ; soit parce qu’une aïeule qui a eu un mari assidu à la mettre enceinte encore et encore et qui en a beaucoup souffert, transmet à son fils la notion que le sperme est quelque chose qui « fait du mal » ; soit la culpabilisation directe de la sexualité (interdit de la masturbation par exemple) ; soit parce que c’est mal de manière générale, pour des raisons religieuses ou autres.

Il existe encore des situations où, par détresse affective et manque affectif dans le couple, la mère s’attache à son fils quand il est un petit garçon et quand il passe la puberté, il sent qu’il pourrait perdre l’amour de sa mère s’il se donne à cette éclosion hormonale. Donc il peut y avoir des manières dont le « sperme est affecté » par ça.

 

À travers votre expérience dans l’analyse de centaines d’arbres généalogiques, comment pourriez-vous expliquer le lien entre l’héritage familial (conscient ou non) et l’infertilité d’une personne ou d’un couple ?

Je me méfie beaucoup du fait de fabriquer des systèmes pour lire l’arbre généalogique. Il y a des grandes lois indiquant comment les choses peuvent être fonctionnelles dans les « quatre centres » d’un couple que sont : la communication intellectuelle, la relation affective, la relation sexuelle et la cohabitation. Si ça ne fonctionne pas bien dans un ou plusieurs centres et si l’on reste ensemble par respect des convenances ou par survie, il y a tout un tas de pathologies qui peuvent se développer.

On étudie ce qui, fondamentalement, crée un état de paix entre les gens. Par exemple, qu’une femme encourage son fils à devenir à un homme à l’adolescence, ou bien qu’un père troublé, choqué, bouleversé par le fait que sa fille devienne une jeune femme, ait le courage de digérer cette mutation, cette métamorphose, c’est très beau. Il y a des millions de façons dont tous ces changements et dont toutes ces relations dans l’arbre peuvent dysfonctionner, donc on ne peut pas vraiment fabriquer de cas général concernant le « pourquoi les gens sont infertiles ».

Les gens sont infertiles quand il y a une cause psychosomatique parce qu’il y a une souffrance, un trauma, une blessure qui sont est liés à la question de l’engendrement, de l’apparition ou de la disparition de l’enfant, ou du fait que c’est difficile d’élever un enfant parce qu’il y a la guerre, un deuil… Les circonstances traumatiques peuvent être extrêmement nombreuses et il y a des gens chez qui cela va générer des troubles de la fertilité et d’autres, pas. Donc on ne peut vraiment pas établir un cas général.

 

Avez-vous eu l’occasion d’observer dans certains arbres, des schémas répétitifs ou des problématiques récurrentes induisant des difficultés à concevoir un enfant ?

L’arbre généalogique fonctionne par une répétition qui a quatre visages :

  • La “photocopie” : la répétition pure et simple ;
  • L’opposition : faire exactement le contraire de ce que l’on a vu, vécu ou de ce qu’on nous a dit de faire ;
  • L’interprétation : faire métaphoriquement la même chose que les parents : en opposition, je me « défertilise », je coupe inconsciemment mes capacités de conception par rivalité avec un parent « surproducteur » et parfois, je fais au contraire, beaucoup d’enfants pour « détrôner » le père ou la mère qui a eu beaucoup d’enfants. Donc c’est très paradoxal car l’inconscient va répondre par le plus ou par le moins (le plein ou le vide) ;
  • La compensation : en ayant eu, par exemple, des parents qui n’ont pas réussi à avoir beaucoup d’enfants, par compensation, le fils ou la fille fait beaucoup d’enfants. Ou inversement, pour soulager une mère accablée par la maternité, son fils ou sa fille va déclencher une stérilité psychosomatique.

 

Concernant la fertilité, avez-vous pu identifier un impact différent des enjeux transgénérationnels entre les femmes et les hommes ?

Ce ne sont pas les enjeux qui sont différents. L’énergie créative qui nous traverse de la façon la plus brute et fondamentale par nos organes génitaux et nos capacités d’engendrement, c’est notre façon de participer à la créativité. Cette énergie-là c’est l’énergie sexuelle, créative, reproductive. Dans l’absolu, la question c’est « Est-ce qu’il est possible de participer à la Grande Vie, en me laissant traverser par cette énergie sexuelle créative, en ayant reçu l’information à tous les niveaux de mon être que c’était quelque chose de safe, de merveilleux et qu’il était ensuite possible d’élever ses enfants ? ». À ce niveau-là, les hommes et les femmes sont égaux. Dans la forme, ça change.

On pourrait dire que la créativité sexuelle prend des formes différentes : chez les hommes, cela peut concerner le mouvement des spermatozoïdes, la capacité de pénétration et d’insémination. Cela va être narré dans une mythologie qui nous parle de cette dimension essentiellement convexe et centrifuge du masculin sexué et inversement concave et centripète du féminin sexué : « Est-ce que je suis capable de recevoir et jusqu’où ? Est-ce que quelque chose est bouché ? Est-ce que mes ovules sont suffisamment forts ? Est-ce que mon utérus a la bonne forme ? » Mais tout cela, ce sont des détails.

 

Selon vous, un secret de famille peut-il avoir une répercussion sur la capacité à concevoir ou non un enfant ? Si oui, de quelle manière ?

Oui, absolument. Le secret de famille peut avoir des répercussions sur tout. Par rapport au livre Métagénéalogie, j’ai fait une découverte ces dix dernières années sur laquelle je suis en train de rédiger un livre : dans les noyaux de l’arbre généalogique, il y en a un que nous n’avions pas exploré avec Jodorowsky, c’est le noyau « mythomane » : le moment où l’enfant apprend à distinguer le mensonge de la vérité et se rend compte qu’il a une vérité fantasmatique, créative, fictive – qui est celle qu’il lit dans les livres et qu’il peut inventer pour se raconter des histoires et se faire plaisir, ou pour mentir pour son profit – et qu’il y a une sorte de réalité objective commune sur laquelle tout le monde est d’accord et qui est censée être une vérité collective.
Quand il y a une attaque vers 6 ou 7 ans, au niveau de cette relation à la narration (âge où on apprend que le Père Noël n’existe pas), cela intervient dans une phase de développement de l’enfant qu’on retrouve à la puberté : une sorte de sas de l’enfance vers l’adolescence, puis de l’adolescence vers l’âge adulte. Donc, le secret va impacter les forces vives de la personne et quand elles le sont, il peut y avoir entre autres façons de somatiser, une interruption du flot de la fertilité spontanée des gens.

Après, je ne dis pas que tout est psychosomatique, je pense qu’il y a aussi des éléments de compatibilité sanguine, génétiques… La question de la fertilité est très complexe, mais quand il y a un désir d’enfant très réel et très profond qui a été validé, vu et entendu dans le cadre d’une approche thérapeutique et que ça continue de bloquer, cela interroge un niveau qui se situe à un autre étage de soi-même.

Alors oui, le secret de famille peut avoir une répercussion, de la même façon que l’invasion : par exemple pour un jeune homme, l’interruption systématique de la masturbation par l’irruption de ses parents, coupe le fait que l’émission de sperme puisse se faire dans un état de dilatation de l’être et potentiellement, impacter sa fertilité.

 

À travers ce que vous avez pu observer tout au long de votre carrière, avez-vous un avis sur la hausse de l’infertilité qui tend à devenir un véritable enjeu sociétal et sanitaire ?

La hausse de l’infertilité répond à deux questions fondamentales : la première est la question écologique avec les perturbateurs endocriniens. C’est notre relation avec notre humanité et avec la planète qui est en jeu à cet endroit-là. Par avidité, on est en train de fabriquer une planète de plus en plus infertile. Sur le plan philosophique, j’ai toujours eu le sentiment, la croyance, qu’il y a une intelligence de la Terre, comme un être vivant et qu’elle sait qu’elle est en état de surpopulation. La réémergence des mouvements Queer (il y a eu des époques historiques où l’homosexualité et l’intersexualité étaient très présentes), la conséquence du féminisme qui permet à des femmes d’oser dire qu’elles n’ont pas de vocation maternelle alors que dans la structure patriarcale c’était impensable, montre qu’il y a des changements sociétaux liés, pour moi, à la multiplication du nombre d’êtres humains à la surface de la planète.

Il y a quelque chose à comprendre : est-ce que l’enjeu c’est d’avoir un enfant pour se valider, ne pas être seul ? Ou est-ce que l’enjeu c’est de devenir et d’être mère ou père ? La question de la fertilité n’est plus un problème lorsqu’on sait qu’on ne dépend pas de la naissance d’un enfant ou d’avoir un enfant, pour faire l’expérience de la maternité ou de la paternité. Il y existe plein de thérapeutes et être spirituels extraordinaires, célibataires et abstinents, qui ont eu une dimension maternelle ou paternelle en embrassant l’humanité entière.

Quelque chose dans l’infertilité nous parle d’un niveau de conscience que l’humanité cherche à atteindre. L’éclairage de l’arbre généalogique c’est que l’on pense avec les idées de nos arrière-grands-parents. Les mentalités mettent 4 générations à évoluer, donc il faut bien que ce soit les corps qui bloquent pour prendre conscience de la présence des perturbateurs endocriniens et qu’on s’aperçoive aussi qu’il y a plein de manières de continuer faire vivre la Terre sans être forcément parents et qu’être parents peut s’exprimer de façons très différentes.

 

En quoi la compréhension des enjeux transgénérationnels peut-il, d’après vous, aider une personne confrontée à un parcours d’AMP ?

Je pense que cette compréhension est l’hygiène de base de l’être humain, c’est l’anatomie de la conscience. Connaître ce qui va déclencher une grande part de notre mécanicité comme dit M. Gurdjieff, c’est connaître nos conditionnements personnels, traumatiques, mais aussi inconscients et transgénérationnels, car c’est une réalité : ils existent. C’est un peu comme savoir où sont nos organes. Quelqu’un qui a le luxe de faire une enquête sur son arbre, il faut qu’il le fasse. C’est important, c’est une connaissance de base.

Souvent, face à une infertilité, énormément de facteurs entrent en ligne de compte : des croyances et des émotions très fortes se déclenchent. Il y a des enjeux au sein du couple qui se lèvent car il est très difficile de ne pas se dire que c’est de la faute de l’autre ou de ma faute. Quand on est malheureux, c’est moins facile d’être solidaires. Et puis il y a une angoisse fondamentale car pour beaucoup de gens, avoir des enfants, former une famille, c’est une sécurité pour l’avenir : on ne “mourra pas seul”.

Donc l’infertilité touche les 4 langages : l’intellect, le cœur, la sexualité/ la créativité et la dimension matérielle. On va être envahis de fantômes face à cette angoisse de l’infertilité, du parcours, de la violence que peut représenter la surmédicalisation de la conception. Donc il est très important de faire du nettoyage dans les 4 étages.

Je commence à avoir pour la première fois des gens qui ont été conçus par AMP et je commence à avoir l’intuition qu’il y a quelque chose dans la toute-puissance du médecin. « Quelle est la métaphysique qui m’a engendré ? » Cette question reste ouverte, mais je vois chez de jeunes adultes, une quête spirituelle plus intense, ou à l’inverse, une espèce de désespoir métaphysique de ne pas avoir pu naître de cette espèce de danse jubilatoire que représente la fécondation spontanée. Il faudrait arriver à voir la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde un peu comme on voit le couple divin. Par exemple, en Inde Shiva et Shakti ou Vishnu et Lakshmi, car les divinités n’ont pas d’enfant mais génèrent le cosmos entre eux.

Cette rencontre entre les gamètes est un événement cosmique, pas technique, et je crois qu’il y a une dimension métaphysique autour de l’infertilité et qu’il est important de se souvenir que, même si la science est intervenue, toute naissance relève du miracle et de la volonté fondamentale de la vie. Et c’est cela qui nous relie, après, à la possibilité de nous sentir fondamentalement voulus par la vie à travers toutes les épreuves qu’on passe, et non pas de demander une espèce de confort et de toute puissance illusoire éternelle comme la société a tendance à les promouvoir.

Marianne COSTA

Marianne Costa

Née en 1966, Marianne Costa est écrivain et artiste de scène. Son parcours la place d’abord au confluent de la psychologie et l’art. Après des études de littérature comparée à l’ENS elle vivra l’aventure multiforme de la psychanalyse, de la coopération dans la Bosnie en guerre, puis la rencontre avec le Tarot et l’approche transgénérationnelle à travers sa collaboration avec Alexandro Jodorowsky.

De plus en plus convaincue par la valeur de la pratique spirituelle traditionnelle (G.I. Gurdjieff, Arnaud Desjardins) elle rassemble ses activités dans l’optique de cette conversion de la négativité vers l’acceptation, qui imbibe l’ensemble de son travail.
Le concept de Métagénéalogie a été forgé à l’occasion du livre publié en 2011 par Alexandro Jodorowsky et Marianne Costa. Il s’agit d’une approche transgénérationnelle qui prend en compte non seulement les enchainements mécaniques du passé et leurs conséquences, mais aussi les forces d’intention et de création présentes dans l’inconscient individuel et familial.

Livres publiés :
Metagenealogie, M. Costa et A. Jodorowsky, Albin Michel 2011

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Marianne COSTA

Née en 1966, Marianne Costa est écrivain et artiste de scène. Son parcours la place d’abord au confluent de la psychologie et l’art. Après des études de littérature comparée à l’ENS elle vivra l’aventure multiforme de la psychanalyse, de la coopération dans la Bosnie en guerre, puis la rencontre avec le Tarot et l’approche transgénérationnelle à travers sa collaboration avec Alexandro Jodorowsky.

De plus en plus convaincue par la valeur de la pratique spirituelle traditionnelle (G.I. Gurdjieff, Arnaud Desjardins) elle rassemble ses activités dans l’optique de cette conversion de la négativité vers l’acceptation, qui imbibe l’ensemble de son travail.
Le concept de Métagénéalogie a été forgé à l’occasion du livre publié en 2011 par Alexandro Jodorowsky et Marianne Costa. Il s’agit d’une approche transgénérationnelle qui prend en compte non seulement les enchainements mécaniques du passé et leurs conséquences, mais aussi les forces d’intention et de création présentes dans l’inconscient individuel et familial.

Livres publiés :
Metagenealogie, M. Costa et A. Jodorowsky, Albin Michel 2011