Entretien avec Lidia STANKIEWICZ

Thérapeute – Relations/procréation
Consultante procréation/fertilité auprès des associations et professionnels de santé
Essayiste/Auteur

Pourriez-vous synthétiser, dans les grandes lignes, l’approche que vous développez dans votre livre La femme infertile n’existe pas ! ?

C’est une approche intégrative de la fertilité. Il s’agit de considérer que la capacité à se reproduire a trait à l’ensemble des fonctions du corps global. Par le corps global, je comprends le corps physique, le psychisme, l’intellect, les émotions et l’énergie de vie qui en émane. Que, ce n’est pas parce que l’on a une bonne réserve ovarienne que l’on est fertile et à l’inverse, ce n’est pas parce qu’on a besoin d’un don de gamètes, que l’on est stérile. J’ai souhaité apporter une perception de la fertilité qui ne se réduit pas à l’appareil physiologique de la procréation. De ce fait, comprenons bien que la capacité de procréer est la conséquence de toute l’histoire de la personne : celle héritée des générations précédentes et personnelle. La fertilité est un savoir reproduire une vie sans que cette reproduction soit nécessairement génétique. Sa qualité dépend du désir d’enfant et de la manière dont ce désir va être réalisé en fonction de l’histoire et du mode de vie.

 

En tant que thérapeute, qu’est-ce qui vous a incité à développer l’accompagnement des personnes en parcours d’AMP ou souffrant de difficultés de conception ?

J’ai d’abord exercé en tant que thérapeute généraliste. C’est lorsque j’ai été confrontée à l’infertilité moi-même, que la question de l’accompagnement des personnes en mal d’enfant s’est imposée. De longues années de combat pour devenir mère, le constat fait de la progression de l’infertilité chez des personnes de plus en jeunes, l’activité en milieu associatif et une observation aiguë des la société, m’ont permis de concevoir une approche globale que je propose aujourd’hui.

 

Quels sont les profils de patient.e.s que vous recevez en cabinet et leur âge moyen ?

Je reçois essentiellement les femmes et les couples. L’âge moyen se situe entre 35 et 38 ans. Les femmes jeunes souffrent de plus en plus d’une insuffisance ovarienne due à l’environnement et au mode de vie (stress au quotidien, alimentation, pression professionnelle et la solitude). Beaucoup sont touchées par l’endométriose et le SOPK qui sont les causes de plus en plus fréquentes de l’infertilité organique. Les femmes approchant la cinquantaine viennent se faire aider pour accepter une maternité tardive obtenue grâce aux dons de gamètes. Des femmes célibataires sont de plus en plus nombreuses. Elles ont besoin d’être aidées dans ce parcours solo très éprouvant à de nombreux égards : physique mais aussi affectif. Les couples sont très nombreux puisque nous savons qu’il s’agit souvent d’une incompatibilité biologique, mais aussi parce que l’infertilité masculine monte en flèche ! J’ai également comme clients quelques hommes seuls qui font appel à la GPA l’étranger.

 

Avez-vous noté des changements ces dernières années ?

Oui évidemment. L’accompagnement de l’infertilité change d’une année à l’autre. Cela est dû à l’évolution de la société. D’abord, la vie à deux ne se réalise plus comme avant : papa, maman, bébé. Les femmes et les hommes sont de plus en plus seuls. Ensuite, parce que les lois changent et que les femmes célibataires peuvent désormais concevoir en France. Enfin, parce que les femmes réalisent le désir d’enfant de plus en plus tard ! Tout cela transforme le paysage de la fertilité. Je dirai que le traitement de l’infertilité ne s’applique plus seulement aux cas « médicaux » pour soigner une infertilité organique. La PMA est de plus en plus une PMA sociale. On est en train de coller le post-it « accompagnement de l’infertilité » à tous les cas de conceptions aidés par la médecine.

Il serait bon, selon moi, de distinguer ces deux groupes car une infertilité biologique n’est pas la même chose qu’un projet de concevoir seule ou en dehors de son couple amoureux. Dans ce dernier cas, nous parlons de l’accompagnement à la procréation sans que l’infertilité existe forcément. Par ailleurs, une femme qui conçoit avec don d’ovocytes souffre d’un manque de gamètes qui est normal pour son âge ! Enfin, l’infertilité inexpliquée progresse à une vitesse incroyable. Elle est due au mode de vie et vraiment palpable chez toutes les femmes qui subissent la pression professionnelle, la mobilité, l’impossibilité de se mettre en couple.

 

Quels sont les demandes et les besoins des patient.e.s confrontées à ce type de parcours ?

D’abord, il y a la souffrance. Elle est due au fait de ne pas pouvoir devenir parent naturellement. C’est normal ! Lorsque nous naissons, nous ne sommes pas préparés à cela ! Quelles que soient les raisons de leur infertilité, les personnes en mal d’enfant sont tout simplement en mal de « mère », en mal de »père ». Il y a là un grand sentiment d’injustice, de honte, de solitude et tout simplement d’impuissance. Souvent, ces personnes se sentent incomprises. Et puis, elles ont besoin de force d’acceptation. Car ce n’est pas chose naturelle que de se battre pour quelque chose qui devrait l’être ! C’est donc un véritable travail d’adaptation qui doit se réaliser tout au long du parcours. Leurs demandes se situent dans le domaine psycho-émotionnel et physique (gestion des émotions, du mental et celle de la douleur). Elles sont souvent accompagnées d’un apprentissage de la communication avec les autres.

 

À travers votre expérience, avez-vous constaté certains schémas, traumas ou problématiques psychiques récurrents, pouvant dans certains cas favoriser des troubles de la fertilité ?

La fertilité est une capacité qui naît avec l’énergie de sa propre conception. Elle est strictement liée au désir que nos parents avaient de nous avoir et à notre désir d’enfant. Ces deux éléments nous sont transmis par nos géniteurs. La petite fille a, dans son inconscient, un désir d’enfant qui se transforme tout au long de sa vie, jusqu’à devenir un projet. Si dans la vie de cette personne, surtout à l’adolescence, il y a eu des événements qui mettent à mal son estime de soi, la fertilité peut en souffrir. Le désir d’enfant inconscient de la petite et jeune fille peut être bafoué par des traumatismes, des limitations, des événements qui « interdisent » à la femme qu’elle devient de reproduire sa vie.

Je constate, par exemple, que lorsqu’une femme a une faible estime d’elle-même parce qu’elle a souffert dans la relation avec ses parents, elle peut souffrir d’une infertilité inexpliquée. Elle ne se sent pas « digne » d’être mère à son tour ou, à l’inverse, elle ne veut pas reproduire le schéma de sa mère qui l’a fait souffrir. Un autre schéma est celui des violences physiques et mentales. Les personnes qui souffrent du manque d’amour parental sont en première ligne. On peut citer aussi le manque de reconnaissance, le rejet, l’abandon et évidemment la relation à son corps. Car la conception d’un enfant est une expérience d’amour vis-à-vis de soi et de l’autre sur le terrain de jeux que le corps est, précisément.

 

La loi autorise les femmes seules à accéder à l’AMP et leurs demandes augmentent depuis trois ans. Quels sont, selon vous, les risques ou écueils de la monoparentalité ?

L’ouverture de la PMA aux femmes seules est une réponse aux besoins de la société. Ce n’est pas une réponse à ni un traitement de l’infertilité. Comme je disais, ce n’est pas parce qu’une femme subit les FIV qu’elle est infertile. Aujourd’hui les femmes assument de plus en plus la monoparentalité. Mais la fréquence ne signifie pas absence de souffrance. D’abord parce qu’elles s’y résolvent à cause de la solitude. Elles ont du mal à trouver le bon compagnon pour en faire le père. Ensuite, parce qu’elles se voient assumer le travail de deux parents en un et c’est très difficile ! Si on regarde l’évolution, deux cellules masculine et féminine ont été nécessaires pour prolonger la vie. Biologiquement, il suffit donc d’un spermatozoïde joint à notre ovule pour se produire. Sauf que l’enfant ce n’est pas qu’une entité biologique. Il est un être complet : social, familial, affectif, etc.

Si du point de vue biologique, l’ovocyte assure presque 100 % du travail pour faire grandir l’embryon, (le spermatozoïde ne fournit que l’ADN), à la sortie du ventre, le bébé a besoin de vivre dans le monde ! Et c’est là que le père entre en jeu. Dans notre société patriarcale, la mère et le père jouent chacun leur rôle. Ainsi, l’enfant peut s’inscrire dans une histoire, dans une famille et une lignée. Ceci constitue son lien principal, celui de filiation. Ce lien repose sur la reconnaissance, l’identité et la sécurité. Dans une famille monoparentale, il y a bouleversement de ce lien. L’enfant n’a qu’un parent pour le reconnaître et répondre à ces besoins primordiaux. De plus, le père ne l’a pas abandonné mais n’existe pas par choix maternel. Les enfants nées de mères célibataires ont donc ce défi devant eux : expérimenter une inscription dans la famille et une reconnaissance nouvelle. Les mères, elles, se trouvent devant une tâche immense d’assumer les responsabilités de deux parents, mais aussi celle de ce choix de la conception. Il y va de la future relation avec l’enfant.

 

Il arrive que certaines femmes décompensent une fois enceintes, après un parcours d’AMP, poussant certaines à aller jusqu’à l’IVG, ou bien que certains couples explosent à peine la grossesse installée. Quelles en sont, d’après vous, les causes ?

La PMA est une façon artificielle de concevoir. Cela veut dire que les femmes et les couples se trouvent dans un état de suradaptation durant parfois de longues années. Cet état leur demande de se remettre constamment en question, aussi bien sur le plan physique que psychologique. C’est donc une période de doutes, d’interrogations aux sujets de ce qu’ils sont, de ce qui les lie et de ce à quoi doit servir leur vie. Une période où toutes ces problématiques sont littéralement condensées. Si pour la psychanalyse, l’enfantement est une folie, pour moi, en PMA, cette période folle commence avant même que le bébé soit là. Il est naturel de décompenser si au lieu de vivre leur vie, les gens se demandent comment ils vont la vivre ! C’est quand l’enfant est là que toutes les armes et les protections sont déposées et que les réactions naturelles reviennent. Naturelles, c’est-à-dire celles qui ne pouvaient s’exprimer pendant le combat.

 

Constatez-vous cela de façon régulière ?

Absolument. Je dirai qu’un couple sur 2 a des problèmes relationnels après la PMA et quelque 5 femmes sur 100 suivies dans mon cabinet, procèdent à l’IVG.

 

De quelle manière accompagnez-vous ces personnes ?

D’abord l’écoute. La présence. Les personnes en mal d’enfant ont besoin de savoir que quelqu’un est là avec elles. J’entends souvent la phrase : « J’ai l’impression que vous savez de quoi je vous parle ». Ensuite, c’est un accompagnement thérapeutique classique, soit de couple, soit d’une personne seule. Très souvent, j’utilise des techniques de travail avec l’inconscient : hypnose, sophrologie et EMDR. C’est un travail psychocorporel.

 

Quel est, selon vous, l’intérêt de l’hypnose dans le cadre de l’accompagnement de l’infertilité et de l’AMP ?

C’est vraiment une technique formidable car elle permet d’accéder à l’inconscient. Tout ce qui nous arrive dans la vie a été, en quelque sorte, induit par notre esprit inconscient. Certains événements se produisant à l’âge adulte nous étonnent. Pourtant, ils ont été, pour ainsi dire, concoctés, dans la petite enfance ou à l’adolescence. Il en est de même avec les causes psychologiques de l’infertilité. Les physiciens le disent désormais : nous fabriquons nos vies avec nos pensées inconscientes. Nous appelons cela le destin. Mais ce n’est rien d’autre qu’une inscription, une réalisation inconsciente de nos vies en réponse à des expériences vécues. Pourquoi donc se refuser ce travail formidable qui peut nous permettre de corriger ce qui ne fonctionne pas ? Dans l’infertilité, il peut y avoir tellement de freins, de blocages, d’interdits ou d’incompréhensions ! Il ne s’agit pas de dire que l’hypnose fera un enfant mais que l’accès à l’esprit inconscient ouvrira la voie de l’autorisation.

 

Que conseilleriez-vous à des personnes entamant un parcours d’AMP ?

D’entamer un travail sur l’estime de soi. La PMA permet de concevoir un bébé mais elle abîme des parties de soi. Pour garder une image de soi satisfaisante, pour amoindrir la douleur physique, un regard sur ce que nous sommes, celui de l’amour et d’inclusion dans la vie, est nécessaire.

 

Que proposeriez-vous aux personnes qui n’ont pas réussi à être enceintes malgré un long parcours d’AMP ?

Je leur proposerais d’enfanter autrement. Procréer c’est créer. La vie est une création. L’enfant apporte une réponse à son sens. Mais s’il n’est pas là, il y a d’autres créations possibles. C’est cela, la beauté de l’existence : créer quelque chose à partir de soi. Trouver un sens à sa vie car enfant ou pas, elle a une grande valeur, déjà.

Lidia STANKIEWICZ

Lidia Stankiewicz

Née en Pologne, après avoir commencé des études en psychologie, à 21 ans, elle s’installe à Paris. Elle fait des études de lettres modernes puis de journalisme pour devenir professeur de français et journaliste. Passionnée par la psychologie et les rouages de l’esprit, elle effectue une école des thérapies brèves et de sophrologie à Paris.

Affectée personnellement par l’infertilité, elle commence à travailler à titre gratuit pour des associations de l’infertilité, puis ouvre son cabinet à Paris en faisant de l’accompagnement de l’infertilité sa spécialité phare. Passionnée par les histoires de vie, les relations humaines et leur influence sur le comportement du corps, elle développe des accompagnements personnalisés basés sur des techniques psychocorporelles.

Conférencière, thérapeute, elle publie son premier essai consacré aux sources inconscientes de l’infertilité de la femme en mai 2023 aux éditions de l’Opportun. En septembre 2024 paraît son second ouvrage sur le thème du don d’ovocyte.

Experte chevronnée de la conception avec don de gamètes, elle consacre une grande partie de son temps au femmes et aux couples confrontés à l’insuffisance des gamètes. 

Ouvrages édités :

Mai 2023, Ed. de l’Opportun, La femme infertile n’existe pas

Septembre 2024, Ed. Quintessence, Don d’ovocytes, est-ce que ça vous gène?

47 Rue Copernic - 75016 Paris

06 77 19 75 32

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Lidia STANKIEWICZ

Née en Pologne, après avoir commencé des études en psychologie, à 21 ans, elle s’installe à Paris. Elle fait des études de lettres modernes puis de journalisme pour devenir professeur de français et journaliste. Passionnée par la psychologie et les rouages de l’esprit, elle effectue une école des thérapies brèves et de sophrologie à Paris.

Affectée personnellement par l’infertilité, elle commence à travailler à titre gratuit pour des associations de l’infertilité, puis ouvre son cabinet à Paris en faisant de l’accompagnement de l’infertilité sa spécialité phare. Passionnée par les histoires de vie, les relations humaines et leur influence sur le comportement du corps, elle développe des accompagnements personnalisés basés sur des techniques psychocorporelles.

Conférencière, thérapeute, elle publie son premier essai consacré aux sources inconscientes de l’infertilité de la femme en mai 2023 aux éditions de l’Opportun. En septembre 2024 paraît son second ouvrage sur le thème du don d’ovocyte.

Experte chevronnée de la conception avec don de gamètes, elle consacre une grande partie de son temps au femmes et aux couples confrontés à l’insuffisance des gamètes. 

Ouvrages édités :

Mai 2023, Ed. de l’Opportun, La femme infertile n’existe pas

Septembre 2024, Ed. Quintessence, Don d’ovocytes, est-ce que ça vous gène?

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