Entretien avec Dr Bérengère DUCROCQ
Médecin de la reproduction,
responsable du CECOS du CHU de Lille
Qu’est-ce qui vous a amenée à devenir médecin de la reproduction ?
J’ai toujours eu une appétence pour la biologie, la génétique mais aussi la psychologie et l’éthique. J’ai aussi fait une formation en éthique clinique. La médecine de la reproduction était la spécialité qui était la plus ancrée dans tous ces domaines-là. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas de ne travailler qu’avec des personnes malades, mais de participer aussi à des projets. Les projets de parentalité, pouvoir rencontrer des donneurs et donneuses qui sont de belles personnes et des receveurs et receveuses, je ne me verrai pas faire autre chose.
En quoi consiste votre rôle à la CAPPAD ?
Je suis membre de la CAPPAD depuis deux ans en tant qu’expert en AMP. On a pu mettre en place la nouvelle loi et le dispositif d’accès aux origines. C’est une commission multidisciplinaire avec des sociologues, juristes, psychologues, associations de patients, intervenants du ministère de la santé… C’est très riche. On a eu beaucoup de réunions au début pour tout mettre en place.
Quels changements avez-vous observés depuis le changement de la loi en termes de contraintes professionnelles ?
Depuis la nouvelle loi des choses surgissent : des tensions entre professionnels avec des postures très fermes de certaines médecines. Certains sont pour « l’égalité, disent dit oui à tout, ne veulent surtout pas juger » et d’autres veulent décider de tout, avec des postures paternalistes. C’est compliqué de s’entendre et d’arbitrer de manière équitable.
Les profils de patients ont changé. Avant ils étaient moins dans le choix des techniques, le choix des médecins, mais ces nouveaux publics, avec l’impact des réseaux, arrivent avec des idées précises « c’est tel traitement qu’il me faut ». Ce n’est pas la majorité mais cela peut être fatigant.
Il y a également eu une énorme augmentation d’activité malgré les dotations en professionnels, avec une très grosse surcharge de travail qui a pu entraîner une baisse de motivation malgré le fait que beaucoup de professionnels soient passionnés par ce qu’ils font. Nous sommes dans la recherche de performance, il faut prendre un peu de hauteur pour éviter d’être dans l’abattage comme au début car tout le monde en a souffert. On doit faire attention à nous et aux équipes. C’est compliqué car on est face à des patients en souffrance avec des délais très longs. On a dû changer plusieurs fois d’organisation, on a voulu accélérer les process mais ce n’est pas bon, on a parfois l’impression de ne pas voir le bout du tunnel.
Nous ne bénéficions pas d’analyse de pratique ni de supervision. Heureusement, c’est un beau métier, notre équipe est soudée mais il faut trouver le juste milieu.
Que pouvez-vous me dire concernant le CECOS ?
Le CECOS c’est la « banque », avec 2 missions : la préservation de la fertilité, prioritairement dans le cadre d’une maladie (notamment chimiothérapies) et le don de gamètes.
On doit veiller, par exemple, à ne pas mettre sur une liste d’attente une patiente qui souhaiterait conserver ses ovocytes hors indication médicale, si le délai est trop long et que nous ne pourrons pas accéder à sa demande avant l’âge limite. Pour les patientes qui souhaitent recevoir un don, un âge limite d’inscription est aussi défini en fonction des délais d’attente et des chances de grossesse.
Les patientes viennent chercher le don la veille de l’insémination ou de la FIV et l’amènent au centre d’AMP dont elles dépendent. Mais ce qui est compliqué c’est qu’on doit récupérer les données (grossesses ou pas) car on est limités au nombre d’enfant par donneur, donc on doit avoir toutes les informations, alors on responsabilise les patientes pour qu’elles reviennent vers nous, mais parfois on n’obtient pas toutes les infos.
Dans le département du Nord et du Pas de Calais, il existe 6 centres d’AMP et on travaille aussi avec des gynécologues en libéral. On a fait un référentiel en fonction de l’âge par souci d’équité (par exemple, cela n’a aucun intérêt de faire 6 inséminations à une femme de 40 ans, on préconise la FIV : meilleures chances de grossesse, moins consommatrice de gamètes et délais plus courts). Les centres s’entendent très bien, il y a un bon suivi, une bonne relation avec tous les gynécos.
Qu’observez-vous concernant les femmes seules en parcours d’AMP ?
Nous constatons plus de fragilité dans les parcours d’AMP solo. On y porte une attention particulière, on a une responsabilité. Ces femmes ont souvent une angoisse sur l’enfant à naître, notamment sur l’aspect physique de l’enfant. Ça les rassure de pouvoir choisir une caractéristique. Souvent, ce n’est pas une maternité par choix, c’est un non-choix, elles sont plus âgées. Elles ont échoué dans leurs relations amoureuses et leur désir d’enfant est au-delà d’un désir familial.
Parfois, on temporise la prise en charge si on les sent trop fragiles, si elles ne travaillent pas. On n’est pas là pour juger mais on doit évaluer si l’environnement peut permettre de bien accueillir l’enfant. Au niveau de la loi c’est compliqué de refuser. On essaie d’accompagner au maximum. On a des délais d’attente longs, donc elles ont le temps de mettre des choses en place au niveau du logement, du travail… C’est compliqué car parfois on sait qu’on ferme la porte au projet quand on refuse (ce qui n’arrive pas souvent).
Parfois, des femmes très jeunes viennent pour faire un enfant seules, on dirait qu’elles veulent une poupée, mais elles ne poursuivent pas leur parcours.
Quelles sont les limites de l’AMP ?
L’ouverture de l’AMP pour les femmes seules et les couples de femmes, était indispensable. C’était très hypocrite de dire : « allez faire vos enfants à l’étranger et on les reconnaît en France ».
Concernant la question des limites de l’AMP, il y a la méthode ROPA qui fait l’objet de demandes et des questions éthiques émergent. Parfois, on a des embryons congelés mais on ne peut pas les utiliser pour que la conjointe le porte et on va devoir les donner ou les détruire, c’est illogique. Ce sont des choses à faire évoluer.
Il y a d’autres questions sur la GPA : on est amenés à donner des infos, à aiguiller les patients vers l’étranger. Il faut trouver le juste milieu et s’inspirer, par exemple, de nos voisins belges qui font les choses bien et pratiquent la GPA. Et les enfants nés de GPA à l’étranger qui vivent en France avec un couple d’hommes vont bien.
Vous recevez les demandeurs dans le cadre du CECOS, quel est l’objet de ces rendez-vous ?
Il y a plusieurs RDV : d’abord, un RDV pour donner les informations sur les délais d’attente, les techniques, le choix du donneur, expliquer qu’on peut procéder à un appariement pour la couleur de peau, de cheveux… On n’est pas trop limités car on n’a pas énormément de demandes en dehors du type caucasien et il suffit parfois d’avoir un ou deux donneurs de type ethnique, ou bien on peut faire appel à d’autres CECOS en cas de besoin. Pendant ce rendez-vous, on parle de l’accès aux origines et on fait remplir un questionnaire médical à la personne qui portera l’enfant, afin d’éviter de cumuler les risques avec le donneur.
Puis il y a un entretien avec le psy. C’est différent pour les couples hétéros, couples de femmes et femmes seules. Avant avec les couples hétéros, on travaillait beaucoup sur le deuil de la conception intraconjugale et sur comment parler de sa conception à l’enfant. Maintenant, pour les femmes seules, il y a une attention sur l’environnement psychosocial et on propose une personne-ressource qui vient en soutien pendant le parcours. Le fait d’être soutenu est une des clefs de la réussite. On a mis en place des groupes de parole. Les dames restent ensuite en lien et se soutiennent les unes, les autres. Pour les couples de femmes, ça permet d’avoir un échange très ouvert sur la parentalité. Parfois même un peu trop, il faut parfois rappeler qu’il y aura un donneur ! Elles l’entendent et cela leur permet d’avoir quelques armes pour la suite.
Dans le cadre de la CAPPAD, avez-vous constaté que des donneuses et donneurs d’avant le 1er septembre 2022 se sont manifestées pour donner leur accord rétroactif à la divulgation de leur identité aux personnes issues de ces dons ?
Certains donneurs sont venus spontanément changer leur consentement. Au niveau national, on a contacté tou.te.s les anciens donneurs et donneuses depuis 2018 (car on commençait à parler de l’accès aux origines à ce moment-là et on les avait avertis qu’ils pourraient être recontactés). À titre d’exemple, dans le Nord, nous avons contacté 200 personnes et une cinquantaine a accepté de donner leur consentement.
D’autres sont recontactés par la CAPPAD en cas de demande d’enfants issus de dons et environ 50 % donnent leur accord.
Comment sont répartis les ovocytes ?
Il faut minimum 8 ovocytes pour avoir une bonne chance en FIV. Si on obtient 12 ovocytes d’un prélèvement, on peut mettre deux couples receveurs et si on en a moins, on donne à un seul couple. S’il n’y a pas suffisamment d’ovocytes, on peut avoir recours à un deuxième don.
Confirmez-vous une baisse des dons ? Est-ce lié à l’évolution de la loi concernant l’accès aux origines ?
C’est difficile de répondre : cela faisait partie de nos craintes, mais les candidats qu’on reçoit sont tous très favorables à l’accès aux origines et veulent soutenir un projet de parentalité. On a l’impression que certaines personnes n’auraient pas donné sans ce dispositif. D’autres sont sensibilisés par la cause LGBT. J’ai l’impression qu’on a eu un changement de public, il y a deux types de donneurs : ceux qui sont eux-mêmes parents et sont sensibilisés à l’infertilité et par l’entourage et d’autres donneurs jeunes, parfois très jeunes (une vingtaine d’années) qui sont dans une démarche altruiste et qui ne veulent pas forcément d’enfant.
L’Agence de Biomédecine a fait d’énormes efforts en termes de communication, notamment auprès des influenceurs, des podcasteurs, ce qui fonctionne très bien. Il faut poursuivre cette démarche et également accentuer la sensibilisation auprès des professionnels de santé.
Combien faudrait-il de donneurs de sperme et d’ovocytes pour répondre à la demande croissante ?
Dans notre centre le nombre de donneurs est resté stable, mais la demande a été multipliée par 10 ! Il faudrait au minimum 2 à 3 fois plus de dons et dans l’idéal, plutôt 4 ou 5 fois plus.
Vous accompagnez des personnes transgenres dans le cadre de la conservation de leur potentiel de fertilité, avez-vous de nombreuses demandes dans ce type de public ?
Depuis 2018 l’accès à la préservation de la fertilité a été ouvert aux personnes en transition. Tous les acteurs qui accompagnent les parcours de transition parlent de la préservation de la fertilité. On a des personnes plus jeunes (18-20 ans) qui congèlent en vue de leurs projets parentaux. Il y a une ouverture et on fait de petites avancées. Avant, les personnes trans avaient un enfant avant leur transition. Aujourd’hui, la majorité fait plutôt la transition avant d’avoir des enfants.
Les chiffres de réussite dans les cliniques étrangères concernant le don d’ovocytes sont bien plus élevés qu’en France, en raison d’un âge des donneuses inférieur. Pensez-vous que l’indemnisation des donneuses changerait la donne ?
Avant, le don était rémunéré en France, jusqu’en 94. Je ne pense pas que ça changerait quelque chose. Culturellement, en France, on donne peu (organes…). Je pense que c’est un fantasme de penser qu’un défraiement changerait la donne.
Quelles seraient, selon vous, les pistes d’amélioration concernant l’AMP en France ?
La France n’est pas le pays qui a les meilleurs résultats en AMP, que ce soit au niveau matériel, en termes de locaux, de recherche sur l’embryon et sur la préservation et même en termes de personnel car il y a très peu d’automatisation en AMP et on manque de personnel.
Il faut s’inspirer d’autres pays. Leurs donneuses sont plus jeunes. La communication vers le grand public sur le don est indispensable, mais aussi sur la fertilité qui diminue avec l’âge. Certaines femmes ne le savaient pas et arrivent à 39 ans ! Il faut en parler dès le plus jeune âge car on se rend compte que la qualité spermatique même chez des donneurs de vingt ans n’est pas bonne. Nous constatons aussi une baisse de la réserve ovarienne chez des femmes de 25-30 ans, qu’on n’explique pas, sans doute liée à l’environnement…
Quel est votre avis concernant l’interdiction du DPI-A ?
L’interdiction n’est pas justifiée car, même si ça ne va pas améliorer la fertilité des femmes, ça va limiter l’échec des transferts, surtout après 40 ans. Ça ne coûtera pas moins cher, mais les femmes auront moins de transfert, moins de fausses couches, vivront mieux le parcours. Mais il y aura d’autres enjeux : pour une femme pour laquelle il n’y aura aucun embryon à transférer, ce ne sera pas facile non plus…
Que conseilleriez-vous à une personne pour laquelle rien n’a fonctionné dans le cadre d’un parcours d’AMP qui se termine sans enfant ?
On ne les voit pas forcément et c’est un gros problème. Un des problèmes, c’est que les médecins ne savent pas dire stop car ils le vivent comme un échec personnel. Je trouve qu’il faut dire quand il est nécessaire de faire une pause ou d’arrêter, ça peut soulager les patients. Mais c’est souvent impossible pour les médecins car ils ne sont pas accompagnés du tout sur l’échec, donc ils le vivent personnellement.
C’est compliqué pour les personnes qui doivent arrêter car souvent, il n’y a pas d’accompagnement derrière. Renoncer au désir d’enfant ? Aller vers d’autres types de parentalité ? C’est compliqué aussi, en tant que médecin, de laisser du temps au couple. On cherche tout de suite à trouver une solution alors que parfois, dire à un couple « Prenez le temps, on se revoit dans deux ans », serait bien. Mais on est privés du temps.
Quel conseil donneriez-vous à des personnes en désir d’enfant qui rencontrent des difficultés ?
De ne pas s’oublier ! Leur désir est légitime mais il faut qu’ils soient costauds pour quand ils auront leur enfant. Garder des projets en commun, se préparer à l’arrivée d’un enfant. En particulier pour les femmes seules, elles doivent se préparer à la maternité (fatigue…).
Parfois, certaines personnes sont complètement angoissées à l’arrivée de la grossesse : « Est-ce que l’enfant sera normal, pas normal ? Est-ce que je vais réussir à gérer ? ». Il arrive même que certaines demandent une IVG…
Qu’observez-vous concernant la place du / de la conjoint.e dans les parcours d’AMP ?
C’est dur dans les couples de femmes de trouver sa place en tant que conjointe, dans le projet de parentalité. C’est important que la conjointe puisse s’impliquer dans le parcours, qu’elle ait vraiment sa place.
Dans les couples hétéros, ça dépend vraiment. Des hommes sont en retrait et culpabilisent si leur femme ne peut pas avoir d’enfant et qu’elles nécessitent un don de sperme. Parfois ils disent « J’autorise le don parce que je me sens coupable, même si je ne suis pas au clair avec ça… ». D’autres sont hyperinvestis et viennent même présenter leur enfant. Et de manière générale, on a souvent de parents hyperinvestis avec leurs enfants après une AMP, parfois même un peu trop !
Dr Bérengère DUCROCQ

Médecin de la reproduction depuis 20 ans, je suis responsable du centre de don du CHU de Lille depuis plus de 15 ans.
J’ai eu la chance de contribuer à la mise en place de la loi de bioéthique de 2021 en tant que médecin expert en Assistance Médicale à la Procréation (AMP) au sein de l’Agence de biomédecine, agence sous tutuelle du ministère de la santé.
Depuis septembre 2022, je suis membre de la CAPADD (Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs) et collabore ainsi avec des personnes qualifiées en droit et en sciences humaines pour le déploiement de ce nouveau droit dans un souci de bienveillance et d’égalité.
Ces différentes missions m’ont permis de murir ma réflexion éthique autour de la procréation et ainsi de m’impliquer dans l’accompagnement à la parentalité des personnes issues de minorités, notamment les personnes trans, et à m’engager pour une prise en charge équitable en AMP sur notre territoire en améliorant les parcours de soins et les techniques autorisées.
Dr Bérengère DUCROCQ

Médecin de la reproduction depuis 20 ans, je suis responsable du centre de don du CHU de Lille depuis plus de 15 ans.
J’ai eu la chance de contribuer à la mise en place de la loi de bioéthique de 2021 en tant que médecin expert en Assistance Médicale à la Procréation (AMP) au sein de l’Agence de biomédecine, agence sous tutuelle du ministère de la santé.
Depuis septembre 2022, je suis membre de la CAPADD (Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs) et collabore ainsi avec des personnes qualifiées en droit et en sciences humaines pour le déploiement de ce nouveau droit dans un souci de bienveillance et d’égalité.
Ces différentes missions m’ont permis de murir ma réflexion éthique autour de la procréation et ainsi de m’impliquer dans l’accompagnement à la parentalité des personnes issues de minorités, notamment les personnes trans, et à m’engager pour une prise en charge équitable en AMP sur notre territoire en améliorant les parcours de soins et les techniques autorisées.