Entretien avec Mehdi Bougattaïa
Analyste psycho-organique et formateur,
superviseur en protection de l’enfance, en addictologie et en petite enfance.
Comment êtes-vous venu à accompagner des personnes en parcours d’AMP ou souffrant de difficultés de conception ?
Mon engagement dans l’accompagnement des personnes en parcours de PMA ou rencontrant des difficultés de conception n’est pas né d’une intention particulière. Tout a commencé par une patiente, puis une autre, et ainsi de suite. J’ai été profondément touché par la souffrance et le sentiment d’impuissance que vivent ces patientes. L’impuissance de vivre un impulse archaïque, celui de la préservation de notre espèce, et qui donne sens à notre vie, m’a particulièrement touchée.
Mon propre vécu a également influencé mon engagement. Adolescent, j’ai été gravement brûlé sur 75 % de mon corps. Les médecins m’ont alors informé que mes traitements pouvaient entraîner un risque important d’infertilité. Cette expérience personnelle m’a sensibilisé à la détresse que peuvent ressentir ceux qui font face à de telles difficultés.
Pouvez-vous expliquer de quelle manière la psychothérapie peut être une aide importante dans le cadre d’une infertilité et quelle est sa complémentarité avec le parcours médical ?
La thérapie en Analyse Psycho-Organique permet de transformer notre rapport au corps, souvent perçu de manière objectifiée, en un corps sujet – un corps qui ressent, analyse et est vivant. Ce travail inclut également une exploration de l’histoire transgénérationnelle et des enjeux inconscients qui influencent le présent.
Cette approche thérapeutique soutient l’élan de création et de vie de la femme ainsi que du couple parental, en complément du parcours médical. En intégrant le corps et la parole, la thérapie met en lumière ce qui ne peut être exprimé autrement, déjouant ainsi les dualités conscientes et inconscientes. Cela favorise une meilleure compréhension et gestion des émotions et des obstacles liés à l’infertilité, tout en renforçant le soutien apporté par les traitements médicaux.
Quels sont les profils de patient.e.s que vous recevez en cabinet concernant l’infertilité ?
La grande majorité de mes patients sont des femmes. Cependant, en fonction de la particularité de chaque histoire, il arrive que nous invitions le partenaire à se joindre au processus thérapeutique ou à y être associé. Il n’y a pas de profil particulier. Mes patient.e.s viennent de divers horizons et apportent des histoires uniques et variées.
Sur le plan psychologique, quelles sont, selon vous, les différentes causes psychiques possibles, pouvant entraîner un blocage à la conception d’un enfant ?
Les causes psychiques pouvant entraîner un blocage à la conception sont très variées, car chaque histoire est unique. Par exemple, le contexte de vie peut jouer un rôle important, qu’il s’agisse d’une famille nucléaire, monoparentale ou recomposée. Lorsqu’aucune cause physiologique n’est identifiée, il peut s’agir, selon moi, d’une dualité symbolique qui entrave la circulation des énergies en soi ou au sein du couple, créant ainsi un obstacle à la conception.
Selon vous, l’aspect psychologique et émotionnel est-il déterminant dans les échecs ou la réussite des parcours de PMA, ou juste un aspect annexe ?
Oui, l’aspect psychologique et émotionnel est, ou peut être, déterminant. La singularité de l’expérience de la conception et de la naissance de chaque individu est unique, et chaque dualité a sa propre histoire.
En quoi l’image du père et sa symbolique peuvent-elles résonner dans le cadre de l’infertilité ?
On peut entendre trois fonctions « paternelles », minimum :
– Faire tiers dans la fusion mère-enfant pour que l’enfant soit pleinement sujet et que la mère laisse suffisamment de place à la femme qu’elle est.
– L’interdit de l’inceste (de l’homme vers l’enfant et de la femme vers l’enfant), de façon réelle ou dans une ambiance familiale de type incestuelle : « Je ne peux pas faire n’importe quoi de ton corps ni de la relation ».
– L’interdit du « cannibalisme » : ce qui a construit et organisé notre Cité est l’interdit du cannibalisme. Par sa fonction symbolique, le père pose d’une autre manière une bonne loi relationnelle par la retenue de la pulsion de mort et de toute-puissance, empêchant ainsi le passage à l’acte. »
Tout l’enjeu est le risque de confusion entre le besoin et le désir. Dans le cadre de la conception d’un enfant il est extrêmement complexe de dissocier ces deux notions car nous sommes à la fois mus par le besoin archaïque de préserver l’espèce et par le désir présent d’avoir un enfant, en prise avec l’enfant que nous avons été et les enjeux transgénérationnels ainsi que les projections sociales, permettant de prendre une bonne place dans notre Cité. Le besoin vient structurer l’être dans son équilibre alors que le désir peut être beaucoup plus orienté et animé par la pulsion de pouvoir ou encore celle de l’ego. Cela vient ensuite définir l’organisation relationnelle entre la fonction parentale et l’enfant. Cette fonction va offrir la question de l’équilibre car elle structure. Il est essentiel de dissocier fonction et rôle parentaux :
– La fonction est la bonne place parentale qui vient structurer l’éducation et la relation à l’enfant : une femme peut incarner sa fonction maternelle et avoir un rôle paternant, en fonction de la situation vécue par l’enfant, ce qui favorise une bonne loi relationnelle et pose des limites pour créer l’équilibre des différentes fonctions parentales.
– Le rôle est lié aux situations réelles qui amènent le parent à faire le choix (conscient ou inconscient) de la posture qu’il va adopter pour répondre aux besoins de l’enfant. Par exemple, si l’enfant tombe et pleure, le parent peut soit incarner le rôle « maternel » qui sera animé par l’étreinte et permettra de rassurer, contenir, consoler, rassembler l’enfant qui traverse une expérience difficile. Ou bien le parent peut choisir (consciemment ou non) une posture refusant l’accueil de l’expérience de l’enfant sur le plan émotionnel : « ne pleure pas, relève-toi », qui relèvera plutôt d’un versant paternel qui pousse l’enfant à aller vers le monde extérieur.
Comment décririez-vous l’impact du rapport à nos propres parents, dans le cadre de la conception d’un enfant ?
De mon point de vue, la question du rapport aux parents interroge notre mouvement libidinal et la façon dont il s’est structuré en nous. Quand nous avons trop de père ou de mère « réels » en nous, cela vient nous impacter. Si l’un ou l’autre de nos parents a pris trop de place psychiquement en nous, ça vient empêcher toute créativité, de faire nos propres choix inconscients (relié à notre désir et nos besoins) et cela peut conduire à la répétition de ce qui s’est joué dans le passé.
L’expression de notre inconscient est une demande de réparation ou de création de nos besoins profonds. Pour moi il y a deux niveaux à distinguer quand nous faisons couple avec l’autre. Pour une femme, elle va chercher dans l’homme qu’elle a choisi, une partie du père mais ce n’est pas le socle profond. Elle a surtout choisi cet homme parce qu’il représente une « bonne mère symbolique » qui va lui laisser toute la place dans sa création de femme au contact de ses choix. La bonne mère symbolique va offrir ce que la mère réelle n’a pas pu offrir à son enfant, en raison des parties non résolues de sa propre histoire.
La psychorigidité de la mère est le versant de dualité avec le monde entre le dedans et le dehors. La mère symbolique intégrée dans le partenaire va offrir un mouvement de rencontre avec moins de dualité et moins de mouvement insécure dans la création de la relation avec l’autre et avec soi. La « bonne mère » symbolique peut être incarnée par chacun des partenaires indépendamment de leur sexe. Le bon père symbolique représente la non-confusion en offrant une bonne loi symbolique. Chacun peut prendre pleinement sa place dans la création, il n’y a pas de secret, l’expression de l’être verbalement ou dans son élan de vie peut être partagé et respecté, ce qui favorise toute création de vie.
D’après vous, en quoi l’hypnose et la psychothérapie sont-elles complémentaires dans le cadre de l’infertilité et de l’AMP ?
Le corps est mémoire et chaque situation peut faire vivre l’inconscient. L’inconscient est situationnel, il n’a pas de temporalité. Par exemple, une situation actuelle va réveiller une mémoire émotionnelle qui fera écho avec ce qui se joue dans le présent. L’hypnose permet de travailler sur des aspects spécifiques du subconscient et de l’inconscient. Selon moi, aucun praticien n’a toutes les réponses ; l’individu a besoin d’un soutien multidimensionnel dans sa prise en charge. L’hypnose peut intervenir sur les blocages et clivages du conscient, offrant ainsi un soutien complémentaire précieux à l’accompagnement thérapeutique. Elle montre le pouvoir transformationnel et ouvre la possibilité d’avoir accès à la psychothérapie. Ça devient passionnant de mieux se rencontrer au-delà des problématiques et parfois l’hypnose peut être le précurseur d’un travail de fond en psychothérapie.
Pensez-vous qu’un transfert positif sur le médecin responsable des protocoles d’AMP puisse jouer un rôle déterminant dans la réussite ou l’échec d’une insémination ou d’une FIV ?
Oui, un transfert positif peut jouer un rôle déterminant. Il soutient la possibilité de création et de transformation en offrant un espace de sécurité. Cela peut aider à apaiser les aspects insécures et les tensions internes, favorisant ainsi une meilleure réponse aux protocoles de PMA. Cette sécurité va permettre d’apaiser la partie de dualité qui symbolise la partie insécure.
Que diriez-vous aux personnes dont le parcours d’AMP n’a pas abouti sur la naissance d’un enfant ?
Nous avons un pouvoir d’héritage qui peut se manifester de différentes manières : nous pouvons nous engager (et cela peut être une naissance avec nous-mêmes) dans différents types d’accompagnements auprès d’enfants. Nous pouvons créer artistiquement et sublimer par une autre « naissance » ce qui n’a pas pu se mettre dans le réel. Tous les jours, grâce à la créativité, nous pouvons renaître, ce qui nous invite à entendre que nous avons la possibilité de moins être dans la dualité avec la vie et avec ce qui n’est pas. Notre mouvement de vie est un mouvement circulaire de rencontre et de partage.
Que diriez-vous aux personnes qui démarrent un parcours d’AMP ?
Je les inviterais à prendre soin d’eux en remettant le corps au centre de leur accompagnement. Notre corps n’est pas un outil mais il est au cœur de notre psyché. Douceur et enveloppement seraient les mots-clés pour les soutenir à l’endroit de la vie. J’ai envie d’ajouter que le futur n’existe pas, il n’y a que le passé et le présent qui existent en nous, néanmoins tout est possible. C’est cela que j’aurais envie de partager aux personnes en début de parcours et qui s’adapterai à chaque singularité. J’aimerais aussi les inviter à vivre ce qu’il y aura à vivre afin d’accueillir le chemin de leur histoire dans les difficultés comme dans les moments précieux de la vie.
Mehdi Bougattaïa

Praticien en psychothérapie en analyse psycho-organique, Mehdi BOUGATTAIA accompagne depuis plus de 15 ans des personnes et des familles dans des contextes complexes, notamment en protection de l’enfance et en addictologie.
Il accompagne depuis plusieurs années des couples confrontés à des problématiques de fertilité, en intégrant des approches corporelles et émotionnelles pour favoriser leur bien-être, une lecture des processus inconscients et leur résilience.
Fort d’un diplôme d’État d’éducateur spécialisé (2004) et d’une certification en psychopathologie (2023), il a également été formé à l’École Française d’Analyse Psycho-Organique (2015) et adhère aux codes de déontologie de la FF2P et de la Sofrapsy.
En parallèle de sa pratique clinique, Mehdi BOUGATTAÏA intervient comme superviseur auprès d’équipes pluridisciplinaires dans des structures variées : hôpitaux, centres sociaux, CSAPA, CAARUD et associations. Il a notamment supervisé des équipes dans le cadre de projets novateurs en addictologie et en accompagnement des vulnérabilités.
Il contribue également à des conférences sur des thématiques telles que la parentalité, la conscience de soi et l’accompagnement des parcours de vie, tout en participant activement à la formation et au soutien des professionnels de terrain.
3 Rue de la Duquenière - 59170 Croix
06 22 24 49 35
Podcast « La petite Voix »
Lacmé Production.
Mehdi Bougattaïa

Praticien en psychothérapie en analyse psycho-organique, Mehdi BOUGATTAIA accompagne depuis plus de 15 ans des personnes et des familles dans des contextes complexes, notamment en protection de l’enfance et en addictologie.
Il accompagne depuis plusieurs années des couples confrontés à des problématiques de fertilité, en intégrant des approches corporelles et émotionnelles pour favoriser leur bien-être, une lecture des processus inconscients et leur résilience.
Fort d’un diplôme d’État d’éducateur spécialisé (2004) et d’une certification en psychopathologie (2023), il a également été formé à l’École Française d’Analyse Psycho-Organique (2015) et adhère aux codes de déontologie de la FF2P et de la Sofrapsy.
En parallèle de sa pratique clinique, Mehdi BOUGATTAÏA intervient comme superviseur auprès d’équipes pluridisciplinaires dans des structures variées : hôpitaux, centres sociaux, CSAPA, CAARUD et associations. Il a notamment supervisé des équipes dans le cadre de projets novateurs en addictologie et en accompagnement des vulnérabilités.
Il contribue également à des conférences sur des thématiques telles que la parentalité, la conscience de soi et l’accompagnement des parcours de vie, tout en participant activement à la formation et au soutien des professionnels de terrain.
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